Le livre du ça

Georges GRODDECK - 1976

« …On perd la mémoire de ce qui est douloureux à supporter et l’on n’oublie pas ce qui n’a pas été par trop pénible.
Voici une phrase sur le sens de laquelle vous devriez méditer, car elle renverse une grande partie des idées reçues. Nous oublions que nous avons séjourné dans le ventre maternel, car il est affreux de penser que nous avons été chassés du paradis; mais il est non moins terrible de se dire que nous avons vécu dans les ténèbres de la tombe. Nous oublions de quelle manière nous sommes venus au monde, car la peur d’étouffer était insupportable. Nous oublions que nous avons appris à marcher, car le moment où la main maternelle nous lâcha a été si angoissant et la joie de cette première manifestation d’indépendance si exaltante que nous ne pouvons pas les conserver dans notre souvenir. Comment supporterions-nous de savoir que, pendant des années, nous faisions dans nos langes et dans nos culottes ? Pensez à votre honte quand vous découvrez dans votre linge la moindre petite tache marron! Imaginez votre horreur si vous ne pouviez plus retenir dans la rue ce qui appartient au secret du cabinet. A quoi servirait de nous remémorer qu’il y a eu des gens si terriblement forts qu’ils pouvaient nous lancer en l’air! Qui nous grondaient sans que nous pussions répliquer… »